Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 30 janvier 2008

11 septembre 2001 : la mort d'Ulysse

par Alain Santacreu
 
 
7dd0a9fc1cb6cc096bce58ab0a78c86f.gif
 
 
 
 

d3e890751beeab9fa450145faac6398f.png Dante, dans l’étrange chant XXVI de L’Enfer, propose un récit de la mort d’Ulysse, si différent de celui de la tradition, que sa lecture en est toujours restée énigmatique. On y voit Ulysse, dans le huitième cercle de l’enfer, faire le récit de son dernier voyage :
« Nous étions vieux et appesantis par l’âge quand nous parvînmes à cette gorge étroite où Hercule planta ses deux bornes afin que nul n’osât se hasarder plus loin. Je dis alors : Frères qui, à travers mille et mille dangers, êtes parvenus aux limites de l’Occident, suivez le soleil, et ne refusez pas à vos yeux exténués par les veilles la connaissance du monde inhabité. […] J’avais si fort excité l’ardeur de mes amis que je n’aurais pu ensuite les retenir. De rames nous nous fîmes des ailes pour un vol fou qui dura cinq mois. Après que nous eûmes franchi le pas suprême, nous arrivâmes à un mont isolé, le plus haut que l’on n’eût jamais vu. En le voyant notre joie fut grande, mais cette joie changea bientôt en larmes. De la terre nouvelle sortit un tourbillon qui vint frapper notre navire. Par trois fois il le fit tournoyer : à la quatrième, la poulpe du navire se dressa et la proue s’abîma dans la mer, comme il plut à Un Autre, et enfin la mer se referma sur nous. »
Selon Dante, c’est bien parce qu’il a franchi les limites de l’Être qu’Ulysse est damné. Rusé, habile et ingénieux, sachant éviter tous les dangers par son courage et son éloquence, Ulysse, figure légendaire de l’homme occidental, a donc suivi une voie illégitime et, bien qu’il aperçoive, escarpée et abrupte, la montagne du Purgatoire au milieu du grand océan de l’Être, il ne peut l’atteindre et encore moins le « Paradis terrestre » qui se trouve en son sommet ; c’est qu’il a négligé son âme pour s’adonner à la perversion de l’intelligence, à la joie de la connaissance illimitée du « Non-Être » du monde en tant que spectacle. Ulysse a sacrifié l’Esprit à l’esprit moderne.
L’ultime transgression odysséenne opère donc un renversement des symboles et la « nova terra » de Dante s’inverse en un « nouveau monde » : l’Amérique.
Les colonnes d’Hercule avaient été érigées par le héros, lors du Dixième de ses travaux, à son retour d’Érythie, l’Île occidentale de la Mort, par delà l’Océan. Ce fut dans une « coupe d’or » qu’il navigua pour ramener en Europe le fameux troupeau de Géryon. S’élevant de part et d’autre du détroit de Gibraltar, les colonnes constituèrent la ligne de partage entre l’océan Atlantique et le bassin méditerranéen et circonscrirent l’espace géographique assigné aux hommes. Elles délimitaient la frontière de protection à ne pas dépasser, à ne pas franchir. Il grava sur elles l’inscription : « Non plus ultra ». Car seuls les détenteurs de la « coupe d’or » sont habilités à franchir les limites humaines.
e230c43d9c862fe9f252e46d540ead65.jpg René Guénon, dans un chapitre des Symboles fondamentaux de la Science sacrée, précise que sur d’anciennes monnaies espagnoles figuraient les deux Colonnes d’Hercule reliées entre elles par une banderole portant la devise "Non plus ultra", et il ajoute : « c’est de cette figuration qu’est dérivé le signe usuel du dollar américain ; mais toute l’importance y a été donnée à la banderole qui n’était primitivement qu’un accessoire, et qui a été changé en la lettre S dont elle avait à peu près la forme, tandis que les deux colonnes, qui constituaient l’élément essentiel, se trouvaient réduites à deux petits traits parallèles. » Et de conclure : « la chose n’est pas dépourvue d’une certaine ironie, puisque justement la " découverte" de l’Amérique a annulé en fait l’ancienne application géographique du Non plus ultra ». Sans doute est-ce pour cela que Charles Quint choisit de changer sa devise en Plus ultra qui deviendrait le cri des conquistadors.
La date du 11 septembre 2001, ce jour tragique de la destruction des tours jumelles du World Trade Center, est la visualisation spectrale des Colonnes d’Hercule à travers le symbole du dollar. Le symbolisme inversé du « billet vert » précipite la vision exclusivement quantitative de la monnaie. René Guénon encore, dans Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, fait remarquer que, dans les diverses traditions, l’argent était véritablement chargé d’une « influence spirituelle », dont l’action pouvait effectivement s’exercer par le moyen des symboles qui en constituaient le « support ». On mesure les dangers auxquels nous expose la monnaie profane et « mécanique » des temps qui sont les nôtres, alors que les influences psychiques les plus délétères se sont substituées aux influences spirituelles d’antan. À cet égard, on soulignera que le 11 septembre précéda de 111 jours l’officialisation de la « monnaie européenne », coupée de toute souveraineté d’ordre supérieur. On remarquera le graphisme de ce nouvel « Euro », reproduisant, à l’intérieur d’une sorte de U renversé – l’initiale d'Ulysse – les deux barres parallèles et horizontales, affaissées comme à l’image des Twin Towers détruites : .
Manhattan est devenu le reflet crépusculaire de Gilbraltar, ce rocher de l’extrême-occident qui, en 711, fut le premier point de la conquête musulmane. 
 
 
(Avant-dire du n° 8 de Contrelittérature, Hiver 2002)
 
 
 
 

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.